La crêpe a une réputation tenace : c’est une activité facile qui génèrerait des bénéfices vertigineux.
Ce mythe est né pour moi il y a une dizaine d’années avec un reportage de M6 Capital qui montrait des crêpiers, disons plus justement des vendeurs de crêpes, mettant de l’eau dans de la poudre et revendant à prix d’or leurs produits aux touristes devant la Tour Eiffel.
La réalité est toutefois bien loin de ces clichés et je vous propose dans cet article d’analyser plus en détail ce qui caractérise la rentabilité d’une crêperie. Car il est essentiel de distinguer la marge des crêpes (très avantageuse, comme je l’explique dans cette vidéo) de la rentabilité d’un restaurant qui croule sous les charges.
1. Les plats les plus rentables de la restauration
La rentabilité se calcule de cette manière : (prix de vente – total des coûts) / total des ventes.
Sans rentrer trop dans le détail, les 8 plats suivants sont reconnus être les plus rentables de la restauration (ordre alphabétique) : bagels, crêpes, kebabs, paninis, pâtes, pizzas, salades, sandwichs, sushis.
J’avais lu il y a quelques années que Victor Lugger et Tigrane Seydoux, les fondateurs des incroyables pizzerias Big Mamma, s’étaient initialement lancés dans la crêpe avant de finalement ouvrir leur premier restaurant italien en 2015. Raison du revirement ? Une meilleure rentabilité à l’échelle du restaurant ! Car la crêpe souffre d’un très gros handicap : son faible prix de vente.
2. Un ticket moyen trop bas
La crêpe est souvent associée au repas « pas cher » en famille ou entre potes étudiants. Pour 13 à 14 euros le midi (et à peine plus le soir) on compte sur un menu complet : galette, crêpe et bolée de cidre ou de jus de pomme. Impossible d’augmenter sous peine de passer pour des voleurs. Avec ce même budget en pizzeria on aura juste une pizza (genre végétarienne), sans tiramisu ni verre de vin ! Et c’est perçu comme étant parfaitement normal.
Dans un récent dossier sur la chandeleur le journal Le Monde indique : « La crêperie est un restaurant qui fait saliver. Sa marge brute, c’est à dire la différence hors taxe entre le prix de vente et le prix de revient, atteint des records : au pire 65 %, au mieux 80 %. Voire 90 % si on se moque des ingrédients. Bémol : avec 12 euros, le ticket moyen par client est un des plus bas du secteur ».
La situation est donc nuancée et si vous envisagez d’ouvrir une crêperie autant connaitre quelques caractéristiques, positives et négatives, de ce type de restauration.
3. Les raisons d’une bonne rentabilité
Voici les facteurs qui contribuent à une bonne rentabilité :
La marge est bonne
Une crêpe au sucre revient à 0,35€, son prix de vente est de 3,50€ (en vente à emporter, donc coefficient de 10) et 5€ (en crêperie, coefficient de 14).
Une crêpe au Nutella revient à 0,64€, son prix de vente est de 4€ (en vente à emporter, coefficient de 6) et 6€ (en crêperie, coefficient de 9).
Une galette complète revient à 1,75€, son prix de vente est de 7,50€ (vente à emporter, coefficient de 4) et 9€ (en crêperie, coefficient de 5).
Pour plus d’infos j’ai tourné une vidéo YouTube sur le prix de revient des crêpes et des galettes)
Des heures d’ouverture étendues
On mange des crêpes de 11h le matin à tard dans la nuit. L’après-midi, alors que de très nombreux autres restaurants font leur coupure, les crêperies font le plein. Ce serait impossible pour une pizzeria. Idem en fin de soirée, voire la nuit : la crêpe est avec le kébab un grand classique pour les noctambules.
Très peu de pertes
La crêperie utilise des produits peu fragiles aux DLC longues (oeufs, jambon, farine, beurre, fromage, garnitures sucrées). Avec un peu d’expérience et d’anticipation on peut préparer au plus juste les quantités de pâte qui vont être utilisées sans rien jeter.
Une cuisine d’assemblage
Les préparations maison peuvent se limiter aux pâtes (je n’imagine pas un instant que vous utilisiez des mix industriels !) et permettent des économies sur les postes de préparation (réception des fruits et légumes, nettoyage, épluchage etc.).
De nombreuses possibilités d’augmenter le ticket moyen
Certaines crêperies ne misent pas sur les crêpes et galettes « simples », mais sur les « crêpes spéciales » ou « du chef » sources de marge : toppings en supplément, flambées, crêpes doubles, gâteaux de crêpes etc.
Un équipement robuste et bon marché
A la différence d’une pizzeria traditionnelle qui va acheter une diviseuse bouleuse, une chambre de pousse, un laminoir et un four à 25 000 €, la crêperie a juste besoin d’un batteur mélangeur et de trois crêpières à 400 € pièce. Trop bien !
4. Mais tout n’est pas parfait !
Voici maintenant quelques aspects qui peuvent faire baisser la rentabilité :
La gestion des fumées
La cuisson des crêpes et des galettes nécessite de disposer d’une extraction à l’installation souvent longue (autorisations de copropriété) et coûteuse. De plus il faudra faire passer une entreprise plusieurs fois dans l’année pour nettoyer le conduit et prévenir tout risque d’incendie.
Des boissons bon marché
En crêperie on trinque autour d’une bolée de cidre vendue une grosse dizaine d’euros. On est bien loin des prix des vins pratiqués habituellement en restauration.
Du personnel difficile à recruter
Savoir tourner les crêpes ne s’improvise pas et de nombreux patrons éprouvent des difficultés à embaucher et à fidéliser, même en garantissant une formation et des bonnes conditions de travail.
La rentabilité d’une crêperie en chiffres – budget mensuel
Je vous propose maintenant un petit exercice concret avec les chiffres d’une crêperie traditionnelle « standard » fictive située dans une grande ville durant un mois « moyen » de l’année.
Ces chiffres ont été élaborés avec l’aide de plusieurs patrons de crêperie de ma connaissance et peuvent être modifiés au moyen du fichier Excel téléchargeable gratuitement ici.
Je fais les hypothèses suivantes :
- Pas de franchise
- 45 places assises,
- 2 patrons et 3 salariés,
- 3 crêpières électriques,
- pas de vente à emporter, pas de livraison, pas de terrasse
- ouverture 6 jours sur 7 (midi – 15h + 19h – minuit du mardi au vendredi et midi – minuit le week-end),
- fermeture 1 mois par an.
PARAMETRES A FAIRE VARIER DANS LE FICHIER EXCEL
Nbre jours d’ouverture : 26
Nbre jours d’ouverture avec coupure : 18
Nbre d’heures d’ouverture par jour avec coupure : 8
Nbre jours d’ouverture sans coupure : 8
Nbre d’heures d’ouverture par jour sans coupure : 12
Nbre couverts le midi : 40 (1)
Nbre couverts l’après-midi : 40
Nbre couverts le soir : 40 (2)
Ticket moyen midi et après-midi : 13,00 € (3)
Ticket moyen soir : 17,00 € (4)
Prix de revient du ticket moyen (coût matière) : 4,10 € (5)
Nbre de salaires au SMIC salarié : 4,00 € (6)
Nbre de salaires au SMIC gérant : 1,00 €
Montant du SMIC mensuel salarié : 1 700,00 € (7)
Montant du SMIC mensuel gérant : 2 300,00 €
Consommation horaire d’une crêpière électrique : 0,25 € (8)
Prix du m3 d’eau : 4,00 € (9)
Mutuelle : 20,00 € (10)
RECETTES
Jours avec coupure : 21 600,00 €
Jours sans coupure : 13 760,00 €
Total : 35 360,00 €
Moyenne par jour d’ouverture : 1 360,00 €
DEPENSES
Achats : 9 840,00 €
Salaires : 9 100,00 €
Loyer : 3 500,00 €
Remboursement emprunt : 3 000,00 € (11)
TVA : 2 000,00 €
Comptable : 700,00 € (12)
Electricité (autre que crêpières) : 550,00 € (13)
Eau : 192,00 € (14)
Commission CB et tickets restaurant : 212,16 € (15)
Maintenance : 300,00 € (16)
Produits d’entretien : 200,00 € (17)
Taxes diverses : 150,00 € (18)
Assurances : 100,00 € (19)
Frais bancaires : 150,00 € (20)
Mutuelle : 100,00 €
Téléphone et accès internet : 50,00 €
Vêtements de travail : 50,00 € (21)
Sacem : 90,00 €
Electricité crêpières : 180,00 € (22)
Publicité et communication : 50,00 € (23)
Total : 30 514,16 €
Dépenses diverses (5% du total des coûts) : 1 525,71 € (24)
Total général : 32 039,87 €
MARGE GLOBALE (25)
Marge : 3 320,13 € (26)
Soit : 9,39%
(1) Pas de rotation et salle jamais pleine du fait des clients venant en nombre impair
(2) C’est une moyenne ! Parfois 20 couverts en début de semaine, et plusieurs rotations le samedi soir
(3) Le ticket moyen peut être analysé si besoin plus finement : distinguer le menu et la carte, pour la carte les clients qui ne prennent que du sucré, que du salé ou les deux, les boissons (cidre, jus de pomme, soft et boissons chaudes)
(4) Prix de revient d’un ticket moyen (coût matière) : 4,10 € (1 galette à 1,50 € + 1 crêpe à 0,80 € + 1,80 € de boisson)
(5) 4,10 € = 1 galette à 1,50 € + 1 crêpe à 0,80 € + 1,80 € de boisson. Coefficient de 3 standard en restauration. Il est identique pour le service du midi et celui du soir.
(6) Ce poste est volontairement sous-évalué avec la totalité des salariés payés au SMIC afin d’être éligible à diverses aides.
(7) Coût du SMIC mensuel pour l’employeur : salaire net + cotisations sociales salariales + cotisations sociales patronales
(8) Voir le détail du calcul sur www.crepesmagiques.com
(9) 1 m3 = 1000 litres
(10) Coût mensuel par salarié
(11) Achat fonds de commerce, travaux et aménagement
(12) Tenue de la comptabilité, réalisation du bilan et du compte de résultat, dépôt des comptes, contrats, attestations employeurs etc.
(13) Chauffage, climatisation, réfrigérateurs, lumière, enseigne etc. + abonnement triphasé 30 kVA
(14) Moyenne de 20 litres d’eau par couvert : préparation du repas, plonge, utilisation des toilettes
(15) 0,8 % du CA payé avec ces modes de paiement. CB et TR représentent 75% des paiements
(16) Plombier, réparations et entretiens divers etc.
(17) Produits, éponges, lavettes, lessive, détergents etc.
(18) CFE, taxe d’apprentissage, droit de terrasse etc.
(19) Assurance des biens et responsabilité civile. Pas d’assurance perte d’exploitation ou autre.
(20) Tenue de compte, commission de mouvement, assistance TPE etc.
(21) Tabliers, polos brodés, chaussures de sécurité etc.
(22) Consommation horaire d’une crêpière x nombre d’heures d’ouverture x 3 crêpières
(23) Hébergement du site internet, nom de domaine, flyers, cartes de visite etc. On suppose ici que le site internet est développé par les gérants et la communications vers les réseaux sociaux réalisée également en interne
(24) Remplacement d’un lave-vaisselle, achat de vaisselle etc.
(25) Total des ventes – total des coûts
(26) Cette marge servira notamment à l’investissement, mais aussi et surtout à la rémunération des propriétaires via des primes, dividendes ou autres dont la fiscalité diffère selon l’option choisie.
Pour aller plus loin dans le calcul de la rentabilité et des marges je vous conseille de télécharger gratuitement l’excellent Guide réalisé par Metro en cliquant ici
Merci Bertrand pour ces très bons conseils ! Très bien expliqué, très clair !
Je t’en prie Bruno !
Merci Bertand toutes les videos, les tutos et les conseils sont très utiles et très clairement expliqués et détaillés. Très motivant pour lancer notre affaire
Ravi que ces informations te soient utiles. Bonne chance pour ton projet !
Une Mine d’informations ..et liens à télécharger
Des vidéos super informatives avec plein de bons plans
(Je n’ai pas trouvé l’exemple BP dont tu m’avais parlé)
Merci beaucoup Bertrand
Bonjour José. Merci pour les encouragements. Le fichier Excel est téléchargeable dans le chapitre « LA RENTABILITÉ D’UNE CRÊPERIE EN CHIFFRES – BUDGET MENSUEL ». Cordialement. Bertrand